En 2015, un vaste projet de piétonnisation des boulevards centraux de Bruxelles a été lancé, transformant le visage d’un centre-ville conçu pour la voiture. La recherche vise à évaluer en profondeur son impact sur les modes de vie. Elle portera à la fois sur la façon dont les activités se déploient dans l’environnement construit et social de la zone piétonne et sur la manière dont ces activités s’intègrent dans la vie des individus. Il s’agira enfin de comprendre quels enseignements on peut tirer d’un projet de réduction drastique de la place de la voiture au cœur d’une métropole et d’évaluer dans quelle mesure un tel projet peut favoriser la transition vers des modes de vie plus désirés et soutenables.
La recherche vise à comprendre comment la piétonnisation des boulevards centraux de Bruxelles a impacté l’ensemble du mode de vie de ses usagers, anciens usagers, ou encore de ceux qui vivent dans cet espace sans le fréquenter. Habitants de la zone piétonne, actifs qui y travaillent, usagers occasionnels ou réguliers, habitants de l’agglomération bruxelloise, anciens usagers du centre-ville : tous peuvent avoir été impactés par l’aménagement du Piétonnier. On fait ainsi l’hypothèse que le projet a eu un impact non seulement sur les usagers du centre-ville, visibles dans l’espace public, mais aussi sur ceux que l’on n’y voit pas. L’ensemble du programme d’activité de ces personnes, leurs habitudes d’achats, de loisirs, de mobilité, leurs sociabilités ont pu être reconfigurés ; le projet a également pu influencer leurs représentations du quartier, de leur cadre de vie, de Bruxelles ou encore leur opinion sur la piétonnisation d’un centre-ville.
On fait également l’hypothèse que pour ceux qui pratiquent le Piétonnier aujourd’hui, des traces de ces évolutions de leurs modes de vie seront directement visibles dans l’espace public. La mixité des populations et des usages de cet espace, qui s’ajoutent à l’hétérogénéité liée aux différents stades d’avancement des travaux, fait en effet du Piétonnier un véritable laboratoire pour l’étude des interactions sociales, des mobilités et des comportements des usagers. Trois sous-hypothèses peuvent alors être formulées :
Pour investiguer ces questions, les chercheurs s’appuieront sur un dispositif méthodologique double, constitué de deux modules de recherche menés de manière concomitante.
Le premier module de recherche, fondé sur l’analyse de photographies et d’observations dans l’espace public, vise à objectiver, de manière temporelle et spatiale, les activités qui se déploient dans le Piétonnier, considérées comme traces des modes de vie des usagers. Les photographies et les observations se concentreront sur les différentes zones du Piétonnier, étudiées à des moments variés (jours de semaine, de week-end, différentes heures du jour et de la nuit…). Il s’agira de produire une description des activités et expériences sociales situées dans l’espace et dans le temps, afin de caractériser la matérialité spatiale, temporelle et collective des modes de vie.
Le second module de recherche a pour objectif d’apporter une perspective plus sensible – vécu, perceptions – à ces activités et ces expériences sociales et de les replacer dans l’ensemble des modes de vie des personnes, ainsi que d’identifier les impacts du Piétonnier sur les modes de vie de ceux qui ne le fréquentent pas ou plus. Pour cela, des journaux d’activités spatialisés et des entretiens semi-directifs seront menés auprès de volontaires, habitants, actifs, usagers réguliers et occasionnels, anciens usagers du Piétonnier.
Les résultats du projet, attendus début 2020, permettront d’alimenter les réflexions sur la place des projets de piétonnisation des centres villes dans la transition vers des modes de vie plus désirés et soutenables.
Les politiques urbaines des années 1950 à 1980 ont porté une vision de Bruxelles comme lieu de consommation et capitale administrative, devant devenir un « point de convergence du réseau autoroutier à l’échelle nationale 1 » . L’espace public est alors aménagé en faveur de la voiture, avec des boulevards centraux à quatre bandes de circulation, reléguant les piétons à des trottoirs encombrés et les trams à une circulation souterraine. Dans les années 1970, des mouvements s’élèvent pour remettre en cause cette conception de la ville et appellent à penser la ville autrement. A côté des argumentaires liés à la durabilité et à la participation citoyenne s’élèvent des mouvements insistant sur l’attractivité du centre-ville de Bruxelles et sur la nécessité d’attirer des classes moyennes en ville. En effet, Bruxelles est marquée par un contexte de forte périurbanisation lié notamment à la localisation des ménages les plus favorisés dans les communes de seconde couronne ou de périphérie, laissant largement le centre-ville aux classes populaires. Néanmoins, sa forte multifonctionnalité (habitat, commerces, administrations, offres touristiques et récréatives…) en fait un lieu attractif à l’échelle supra-locale, ce qui induit des enjeux d’accessibilité et de mobilité.
Dans ce contexte, un projet d’extension de la zone piétonne de Bruxelles aux boulevards centraux, appelé « le Piétonnier », est lancé en 2015, dans une grande impréparation. La mise en œuvre des travaux s’appuie sur un plan de mobilité, un plan d’aménagement de l’espace public et un plan de développement commercial, le premier ayant été mis en place près de 2 ans avant le deuxième. Les travaux d’aménagement de l’espace public ont débuté en septembre 2017 sur plusieurs tronçons de boulevard. Au début de la recherche, la zone piétonne comprend alors des espaces dont les stades d’avancement des travaux sont variés ; des zones déjà aménagées côtoient des espaces encore dans leur état initial ou en chantier.
L’hétérogénéité de l’ensemble est accrue par la diversité des mobilités qui s’y déploient. Si l’espace est d’abord destiné aux piétons, d’autres modes actifs (vélos, trottinettes…) y sont admis, de même qu’à certains endroits, les autobus, mais aussi, à certaines conditions, les véhicules de livraison, les riverains ou encore les taxis. Une bande de circulation automobile a également été rouverte à certains endroits du Piétonnier, suite aux recours contre les permis d’urbanisme et les décisions de police.
La mise en œuvre du projet de Piétonnier a engendré de nombreuses controverses, en raison notamment du manque de concertation publique et de l’impréparation dans laquelle le projet a été décidé. Dans ce contexte, l’Observatoire du centre-ville de Bruxelles (BSI-Brussels Centre Observatory) a été formé au sein du BSI (Brussels Studies Institute) 2 afin d’objectiver les débats autour du Piétonnier et d’évaluer ses effets sur le fonctionnement de la métropole. Pour suivre le présent projet sur les conséquences de la piétonnisation sur les modes de vie, une équipe de recherche impliquant des chercheurs issus de champs disciplinaires variés (sociologie, anthropologie, archéologie, géographie) s’est formée au sein de cet observatoire. A leur côté, une équipe du groupe de recherche TOR de la Vrije Universiteit Brussel (VUB), référence dans le domaine des Time Use Surveys depuis plusieurs années, interviendra pour mettre en œuvre un dispositif de journaux d’activités spatialisés.
1 DE VISSCHER, J.-P., NEUWELS, J., VANDERSTAETEN, P. et CORIJN, E., 2016. Brève histoire critique des imaginaires à la base des aménagements successifs des boulevards, In : CORIJN, E., HUBERT, M., NEUWELS, J., VERMEULEN, S. et HARDY, M. (eds), Portfolio#1 : Cadrages - Kader, Ouvertures - Aanzet, Focus. Bruxelles : BSI-BCO, pp. 135-147, http://bco.bsi-brussels.be/portfolio-1/.
2 Le Brussels Studies Institute (BSI) est une plateforme de recherche rassemblant 27 centres de recherche et plus de 250 chercheurs issus de 6 universités différentes et investis dans des disciplines variées. Il rassemble une équipe d’experts académiques et non-académiques en support aux projets de recherche et de valorisation des résultats de la recherche. Le BSI mène actuellement une quinzaine de projets de recherche impliquant des équipes pluridisciplinaires, multi-acteurs, interuniversitaires et intercommunautaires en fonction des thématiques développées. Le BSI-BCO (Brussels Centre Observatory) s’est formé au sein du BSI (Brussels Studies Institute) pour faire face aux controverses suscitées par l’aménagement du Piétonnier et objectiver les débats. Il étudie les effets de la piétonnisation des boulevards centraux dans le fonctionnement multiscalaire de la ville-métropole. Cet observatoire rassemble aujourd’hui une cinquantaine d’universitaires et de chercheurs issus de disciplines diverses et rattachés à 15 centres de recherche liés à 5 universités différentes.
Dans une perspective large, la mobilité peut être définie comme l’intention, puis la réalisation d’un franchissement de l’espace géographique impliquant un changement social.
Un mode de vie est une composition - dans le temps et l’espace - des activités et expériences quotidiennes qui donnent sens et forme à la vie d’une personne ou d’un groupe.
Les recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.