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Mobilité durable : définitions, concepts et indicateurs

Par
Catherine Morency (Ingénieure)
12 Février 2013

La durabilité est au cœur des stratégies de transport. Son amélioration est un enjeu crucial et il est donc essentiel de bien savoir la mesurer. Le point avec Catherine Morency.






Mobilité durable : définitions, concepts et indicateurs

Catherine Morency

La durabilité est au cœur des stratégies de transport. Son amélioration est un enjeu crucial et il est donc essentiel de bien savoir la mesurer. Le point avec Catherine Morency .

On entend beaucoup parler du concept de mobilité durable. Je vous propose aujourd’hui d’essayer de le définir, de vous parler des différents concepts sous-jacents, de déterminer comment on arrive à mesurer ce concept de mobilité durable. Évidemment, celui-ci a pris une place majeure dans le transport parce que le transport est un élément-clé quand on vise à augmenter le niveau de durabilité dans nos sociétés, dans nos collectivités. Il a un effet direct sur tous les impacts négatifs que l’on peut mesurer : les impacts environnementaux, les impacts sociaux, les impacts économiques. Il s’agit ici d’essayer d’avoir une compréhension un peu plus uniforme de ce qu’est la mobilité durable. Au cœur des stratégies du transport, il y a plusieurs pays et régions qui se sont dotés d’outils, de politiques, de plans d’actions pour essayer d’encadrer la prise de décision en matière de transport, pour essayer d’améliorer le niveau de durabilité. Évidemment, il est assez difficile de définir ce qu’est le meilleur niveau de durabilité que l’on souhaite atteindre. Alors il y a plusieurs personnes qui ont réfléchi le concept qui est utilisé à plusieurs endroits mais l’opérationnalisation doit passer par une meilleure compréhension du concept et surtout par une définition d’indicateurs. Donc on va parler un peu de tout ça aujourd’hui.

Qu’est-ce qu’un système de transport et une mobilité durables ?

Il y a différentes définitions qu’on peut d’abord utiliser. La première, c’est la définition de la durabilité qui a été proposée dans le rapport Brundtland. Un développement durable, c’est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Évidemment, si on veut l’adapter aux systèmes de transport ou encore à la mobilité, ça implique qu’on regarde quelles conséquences ça peut avoir sur eux. Le Centre pour les transports durables a proposé une autre définition de ce qu’est un système de transport durable : un système qui permet aux individus et aux sociétés de satisfaire leurs principaux besoins d’accès aux lieux d’activité, en toute sécurité et compatible avec la santé des hommes et des écosystèmes, avec équité entre les différentes générations. C’est un système qui va avoir des coûts raisonnables, qui va fonctionner efficacement et qui va offrir le choix entre différentes alternatives de transport pour l’ensemble des populations. Donc ce système doit avoir comme propriété de limiter les émissions polluantes, les déchets etc., pour essayer de s’assurer qu’on ne dépassera pas les capacités que possède la planète à absorber tout cela. Qu’est-ce que la mobilité ? Il y a beaucoup de définitions aussi de la mobilité. On peut les résumer autour d’une compréhension commune du fait que la mobilité est une capacité des personnes et des biens à se déplacer ou à être transportés et cette mobilité est durable lorsque sa réalisation respecte la sécurité, l’environnement, permet d’assurer les besoins matériels de la vie et de garantir l’équité entre les individus.

Améliorer la mobilité durable : agir sur l’offre ou la demande ?

De quelles stratégies dispose-t-on pour essayer d’améliorer le niveau de durabilité de la mobilité ? On peut, d’une part, tenter d’agir sur l’offre – l’offre de transport – pour essayer de modifier les comportements, par exemple investir dans les infrastructures, bien que ça puisse avoir différents effets non intuitifs. On peut aussi créer des mesures financières : on prend les péages, à des tarifications, à des gestions de stationnement. On peut aussi tenter de réduire l’offre en limitant, par exemple, la capacité offerte aux véhicules qui ont des niveaux de durabilité moins élevée selon l’entendement collectif. On peut, enfin, essayer d’agir sur la demande. Si on me demande ce qu’il faut faire pour limiter la congestion, je dirai tout simplement qu’il faut réduire la demande parce que tout le monde veut se déplacer aux mêmes endroits aux mêmes heures. On peut donc agir aussi sur la demande en faisant différentes mesures de promotion, en sensibilisant les gens aux impacts négatifs de leurs choix de transport. On peut avoir des politiques d’aménagement et aussi des politiques d’aménagement du temps et donc changer les horaires, favoriser le télétravail, etc.

Comment assurer l’équité sociale ?

Si on s’intéresse ensuite aux enjeux et aux objectifs du développement durable appliqué aux transports, il y a des objectifs au niveau social. On parle d’accessibilité, d’équité sociale, s’assurer que tous les “segments” de la population ont les mêmes possibilités en termes de lieux d’activités. On parle de qualité de vie dans les quartiers, de qualité de vie des voyageurs, d’autonomie des personnes. Il y a beaucoup de réflexion autour de la nécessité de s’assurer que les personnes âgées qui vieillissent dans des lieux un peu moins accessibles aient éventuellement accès à des options de transport quand ils ne pourront plus se déplacer de façon autonome. Évidemment, cela suscite une certaine friction envers les décideurs parce que ça a des coûts et que la valeur économique de l’autonomie n’a pas encore été quantifiée. Est-ce qu’il le faut ? C’est une autre question. Il y a toute la question de sens de la communauté ; comment s’assure-t-on que tout le monde peut participer à la vie sociale ? Et toutes les questions d’isolement, de ségrégation, si le système de transport ne permet pas d’assurer la participation active de tous.

Comment répondre aux enjeux environnementaux et économiques ?

Les enjeux liés aux aspects environnementaux sont, eux, beaucoup mieux maîtrisés, c’est à dire qu’il y a une sensibilité plus grande de la part des individus et des sociétés, aux impacts sur la pollution et à la génération de gaz à effet de serre. Ça a été beaucoup mieux internalisé dans les processus, c’est mieux compris. Il y a d’autres aspects environnementaux. On parle de la consommation d’espace, du nombre d’espaces de stationnements qui sont requis pour assurer l’utilisation d’un véhicule, de la fragmentation des habitats, de toute la question de ruissellement des eaux quand on a du pavage un peu partout car, évidemment, ça peut créer des ilots de chaleur, ça limite la capacité de se débarrasser de cette eau superflue. Il y a enfin tout ce qui est lié à la qualité de l’air et à la pollution par le son. Les autres aspects qui sont aussi très difficiles à maîtriser, ce sont les aspects économiques. Pour augmenter le niveau de durabilité des systèmes de transport, il faut s’assurer qu’on va avoir des coûts de transport accessibles pour tous. Et évidemment, il y a toute la question des investissements collectifs donc le budget collectif dédié aux transports, il y a évidemment les contributions qui sont faites par les emplois qui sont liés aux systèmes de transport donc ce sont les enjeux liés à l’économie qu’on essaye de comprendre comment on caractérise les niveaux de durabilité des systèmes de transport.

« Opérationnaliser » la mesure de la mobilité durable

Si je me permets un constat au niveau de la mesure de la mobilité durable parce qu’évidemment, il y a un pas à faire entre définir la mobilité durable et essayer de la mesurer et le pas, est important parce que si on ne la mesure pas, ça va être très difficile d’en tenir compte dans les processus d’évaluation des projets. On est donc obligés de faire le pas, de définir des indicateurs qu’on va pouvoir utiliser dans un cadre d’évaluation qui pourrait être une grille, un système qui intègre différents indicateurs avec des pondérations et ça, c’est une chose qui est relativement difficile à faire… Dans ce cadre, je me suis permis de faire un constat en cinq points dans lequel j’essaie de comprendre où on en est avec les questions de mesure de la mobilité durable. C’est ce qu’on pourrait appeler aussi l’“opérationnalisation” de ce concept pour qu’on puisse l’utiliser en pratique.

Constat 1 : multiplication des indicateurs

Le premier constat, c’est un constat de fouillis. J’entends par fouillis un ensemble désorganisé d’éléments. Si on regarde la littérature sur la durabilité, on va observer qu’il y a une panoplie d’indicateurs qui ont été proposés par des auteurs mais c’est totalement désorganisé. Il y a beaucoup d’indicateurs qui vont nous permettre de caractériser la durabilité mais on va observer de la redondance dans les indicateurs, on n’est pas certain de la façon dont les indicateurs sont estimés, le choix des indicateurs est plus ou moins pertinent, etc. C’est donc très discutable et parfois, il y a des éléments qui vont être absents parce qu’on est incapables de les mesurer.

Constat 2 : l’influence disproportionnée de certains indicateurs

Le deuxième constat, c’est un état de déséquilibre. Cycliquement, ce qu’on observe, c’est qu’il y a des indicateurs qui prennent trop de poids. Je pense notamment à la quantité des GES (gaz à effet de serre) émis. Ces dernières années, les GES ont pris une place presque disproportionnée dans l’équation des constats de niveaux de durabilité. Il y a eu une sensibilité, les gouvernements se sont engagés à faire des réductions en fixant des objectifs et beaucoup d’importance a été donnée à cet indicateur au détriment d’autres. Ça peut donc avoir des impacts, des effets paradoxaux : certains projets peuvent avoir pour conséquence de réduire les GES mais se traduire quand même par d’autres impacts négatifs qui, dans l’équation globale des niveaux de durabilité, feront apparaître qu’il s’agit là d’une mauvaise décision. On peut prendre l’exemple des véhicules électriques et là, je ne voudrais pas choquer certaines personnes mais si on converti un véhicule à essence en véhicule électrique, il y aura effectivement une diminution des GES localement mais on va quand même perpétuer les problèmes d’occupation de l’espace, de congestion et d’utilisation des infrastructures et des espaces de stationnement. Donc, ça ne règle pas tous les problèmes : un déséquilibre peut naître du choix de certains indicateurs au détriment d’autres.

Constat 3 : quand les choix d’indicateur sont dictés par l’opportunisme

Le troisième constat qu’on peut faire est un constat d’opportunisme. Trop souvent, dans le choix des indicateurs, il y a une certaine dépendance en regard des données qui sont disponibles. On voudrait mesurer quelque chose mais comme on n’a pas accès aux données pertinentes ; on va donc mesurer d’autres choses ou on va tout simplement en négliger, ou on va prendre plusieurs indicateurs qui sont un peu plus flous, un peu plus qualitatifs. Dans une équation, c’est un peu plus difficile de tenir compte de ces éléments si on n’a pas la documentation requise ou les données requises pour en témoigner.

Constat 4 : donner une valeur économique aux sphères sociales et environnementales

Le quatrième constat concerne que je pourrais appeler de la réduction économique. L’économie est un élément central dans l’équation de durabilité. Cependant, ça ne doit pas se faire au détriment des deux autres sphères que sont l’environnement et, surtout, la sphère sociale. On a souvent l’impression que la stratégie choisie pour essayer de tenir compte des autres aspects – les GES, par exemple, ou les aspects sociaux –, c’est de faire une traduction et donc d’attribuer une valeur économique à un concept. Dans le cas particulier des GES, on attribue une valeur économique à une tonne de GES. On fait la même chose pour la vie humaine et donc, on attribue une valeur à la vie humaine pour être capable d’entrer ça dans une équation afin, in fine, d’obtenir un bilan sur le fait que la stratégie est bonne ou non. Évidemment, c’est certainement discutable, ce sont des choix dans les processus d’évaluation mais ça amène quand même une certaine réduction et ça implique qu’on va devoir attribuer des valeurs économiques à l’ensemble des barrières dont on doit tenir compte.

Constat 5 : prendre en compte les chaines de causalité

Le dernier constat est un constat d’unidimensionnalité, c’est-à-dire qu’on ne tient pas assez compte des chaines de causalité et, souvent, des interactions spatiotemporelles entre différents impacts. On peut ainsi avoir un impact qui aura un effet sur un second impact, sans connaître les chaines de causalité et donc les incidences d’une stratégie, à court comme à long terme. On peut donc se retrouver avec des stratégies qui vont avoir des impacts paradoxaux, contraires à ceux qu’on espérait. Voici donc les cinq constats qu’on peut faire sur l’évaluation du niveau de durabilité ou, au moins, les efforts qui sont faits pour essayer de mesurer un niveau de durabilité des projets. Évidemment les étapes qui suivent quand on cherche à “opérationnaliser” cette mesure de durabilité, consistent à essayer de définir des typologies, de définir des indicateurs qui vont pouvoir ensuite être utilisés dans des cadres d’évaluation plus organisés dans lesquels il y aura une prise en compte de ces liens de causalité.

Réaliser une typologie des indicateurs, les classer, les « raffiner » et les structurer

Parmi les indicateurs qu’on peut proposer en termes de typologie, il va y avoir des indicateurs qui vont caractériser la mobilité et qui sont assez bien maîtrisés. Des travaux ont été entrepris depuis longtemps pour mesurer les comportements de mobilité, il y a évidemment des indicateurs de contexte, il faut être capable d’avoir toute la description du contexte dans lequel se font les déplacements : le prix de l’essence, l’état des lieux, l’utilisation du sol, les caractéristiques des personnes, la structure démographique, etc. Il y a des indicateurs qu’on va appeler des indicateurs d’entrants (l’input), qui seront les coûts et les ressources requises pour essayer de mettre en place les stratégies, il y a des indicateurs d’extrants (l’output), l’équivalent qui va être le résultat d’une certaine intervention sur des réseaux et il va y avoir des indicateurs d’impacts donc tout ce qui va avoir trait aux conséquences d’une modification par exemple des comportements de mobilité. Il est donc très important d’arriver à classer ce qu’on mesure pour voir si c’est une chose sur laquelle on peut avoir une action, qu’on peut modifier en implantant une stratégie (couper ici : Les autres défis que l’on rencontre, c’est de “raffiner” ces indicateurs, de définir des méthodologies d’estimation qui vont pouvoir s’adapter en fonction du type de projet qu’on utilise ou qu’on étudie. Par exemple, il y a toute la notion d’échelle spatiale : si on fait une intervention dans un quartier, on va avoir besoin d’indicateurs plus locaux qui vont s’estimer au niveau des quartiers. Il y a les questions d’échelle temporelle : est-ce que l’effet va être spontané, simultané à l’implantation de la stratégie ? Est-ce que ça va être un effet de court terme ? Est-ce qu’il va y avoir un effet dans dix ans ? Et il y a la question de portée : Est-ce que ça va toucher toutes les tranches de la population ou seulement certains segments de la population ? Et finalement, l’étape 3 dans l’estimation, c’est de structurer tout cela sous forme de systèmes pour essayer d’évaluer. Il faut sélectionner les meilleurs indicateurs, les définir, les formaliser, avoir des formulations mathématiques. Ensuite, il faut proposer des méthodologies, déterminer comment on va les estimer, comment on va mettre en relation ces différents chiffres, faire des recommandations sur les données qu’on va recueillir pour assurer le suivi en continu des impacts des projets, expliciter les liens de causalité qui ne sont pas toujours faciles à prévoir a priori et avoir des systèmes qui vont permettre de soutenir justement l’évaluation des projets de transport.

Défis : Définir une méthodologie transparente et fiable

En définitive, le processus de définition de la mobilité durable est surtout d’avoir des systèmes qui permettent d’évaluer les niveaux de durabilité. Et le défi, c’est d’avoir des méthodologies transparentes pour que les gens sachent, soient en mesure d’évaluer d’où viennent les résultats. Il faut assurer la collecte de données en continu pour assurer la capacité de mesurer les impacts à différents horizons temporels et les organiser sous forme de systèmes. Évidemment, ceci doit être opérationnel, c’est-à-dire qu’il faut arriver à développer des indicateurs que les institutions vont pouvoir utiliser pour prendre des décisions plus éclairées et qui iront dans le sens des nouvelles visions collectives d’augmentation des niveaux de durabilité.

Télétravail

Exercice d’une activité salariée hors des locaux de l’entreprise, à domicile ou dans un lieu tiers pendant les horaires de travail habituels et nécessitant d’avoir accès à des outils de télécommunication.

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Catherine Morency

Ingénieure

Catherine Morency est ingénieure civile et professeure titulaire en planification des transports Polytechnique Montréal. Elle est titulaire de la Chaire Mobilité qui s’intéresse à l’évaluation et la mise en œuvre de la durabilité en transport ainsi que de la Chaire de recherche du Canada sur les interactions entre les modes de transport. Ses recherches portent sur la modélisation des comportements individuels de mobilité, incluant les modes actifs et alternatifs de transport, les méthodes de collecte de données et le développement d’outils de simulation.



Pour citer cette publication :

Catherine Morency (12 Février 2013), « Mobilité durable : définitions, concepts et indicateurs », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 20 Avril 2024, URL: https://forumviesmobiles.org/videos/621/mobilite-durable-definitions-concepts-et-indicateurs


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