Alors que les émissions liées aux transports représentent en France 30% des émissions de gaz à effet de serre et sont en constante augmentation, les innovations technologiques et les objectifs de report modal ne sont pas suffisants, et la taxe carbone a été massivement rejetée par le mouvement des Gilets Jaunes. Le « crédit carbone », sous la forme d’une « carte carbone », est présenté par certains comme une alternative à la taxation, qui permettrait d’acter les limites planétaires, de répartir équitablement les ressources et de contraindre les politiques publiques à s’adapter à cette « nouvelle donne » environnementale. Une telle proposition serait-elle possible, juste et souhaitable ?
Contact : Claire-Marine Javary
En 2018 et 2019, le mouvement des Gilets jaunes a clairement exprimé son opposition à la taxe carbone. Cette taxe est considérée comme injuste car elle s’applique aux déplacements du quotidien, souvent contraints par l’éloignement des ressources et des emplois, alors que les voyages en avion pour le tourisme et les affaires sont très faiblement taxés. La taxe carbone présente aussi l’inconvénient de peser plus fortement sur les budgets des ménages les plus pauvres, alors qu’ils sont en moyenne les moins émetteurs 1 . La Convention citoyenne pour le climat, composée de 150 citoyens tirés au sort représentatifs de la population française, a aussi rejeté l’augmentation de la fiscalité carbone, tout en préconisant une augmentation des taxes concernant le secteur aérien 2 .
Le « crédit carbone » (appelé aussi quota, ou rationnement du carbone) est présenté par certains chercheurs et militants comme une alternative à la taxe carbone. Une « carte carbone » appliquée aux déplacements polluants (en voiture et en avion principalement) permettrait de distribuer un « droit d’émettre » selon des critères définis collectivement et démocratiquement. Elle permettrait à la fois aux individus de gérer leur « budget carbone » et de contraindre les décideurs politiques à rendre effectivement possibles les déplacements décarbonés. Elle a été expérimentée sous des formes volontaires et incitatives, comme actuellement dans la ville de Lahti en Finlande, qui a développé une application de personal carbon trading pour les déplacements urbains. D’après l’enquête réalisée par le Forum Vies Mobiles pendant le confinement de printemps, 53% des français seraient favorables à des mesures de rationnement pour réduire le volume des déplacements, à condition que cette règle soit équitable et ne permette pas aux plus aisés d’y déroger.
Jusqu’à aujourd’hui, aucun des leviers actionnés par les politiques publiques visant à décarboner les transports (innovation technologique, report modal…) ne sont suffisants pour infléchir la trajectoire des émissions à temps, du fait d’une augmentation rapide du nombre kilomètres parcourus avec des modes polluants 3 . Ce projet a pour objectif d’explorer, à travers des scénarios prospectifs, la proposition de mettre en place une « carte carbone » pour les déplacements. Cette solution répondrait-elle aux défis à relever dans le secteur des transports pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Sous quelles conditions pourrait-elle être juste et acceptable ? Quelles politiques publiques d’accompagnement nécessiterait-elle ? Quels seraient les effets sur les modes de vie et sur les territoires ?
Après élaboration d’une revue de littérature qui permettra de préciser la question de recherche, les étudiants s’attacheront à construire des scénarios prospectifs selon les hypothèses retenues en matière d’objectifs de réduction des émissions, de périmètre d’application, de critères d’attribution des crédits, d’étapes de déploiement etc. Ces différents scénarios permettront d’identifier les effets de l’instauration d’une carte carbone appliquée aux déplacements en matière de maîtrise du volume des émissions, de réduction des inégalités sociales et de transformation des modes de vie et des territoires. Ces effets potentiels pourront notamment être évalués à travers des « profils-types » présentant des modes de vie, des niveaux de revenus et des types de mobilités différents (par exemple : un travailleur mobile vivant en zone peu dense, un cadre urbain qui voyage beaucoup…).
1 Comme cela été reconnu dans le « Rapport sur l’impact environnemental du budget de l’Etat » dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) 2021.
Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.