Déplacement
Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
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Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
Le déplacement peut avoir lieu dans et entre différents types d’espaces : l’aire, le réseau et le rhizome. Pour les personnes, il est désormais courant qu’un déplacement se déroule simultanément dans deux types d’espaces : être dans un train (déplacement dans un espace réseau) et connecté à Internet (déplacement dans espace rhizome), téléphoner en conduisant, etc.
L’accroissement des différentiels de vitesse de déplacement dans le territoire a redistribué l’importance des différentes formes spatiales que sont l’aréole, le réseau et le rhizome dans les modalités de l’insertion sociale (Kaufmann 2011). Chacune de ces trois formes se réfère à une conception de l’espace :
L’espace aréolaire
Il s’agit de l’espace statique qui s’incarne comme un territoire délimité, caractérisé par un dedans et un dehors et des limites identifiables. Chacun occupe une place dans cet espace. Le déplacement consiste à passer d’un espace à un autre. Une bonne partie de l’appareil conceptuel et méthodologique des sciences sociales est fondé sur ce modèle. La plupart des sources statistiques disponibles se réfèrent implicitement à des espaces aréolaires, leurs critères de différenciation sociaux (catégories socioprofessionnelles, composition du ménage) et spatiaux (pays, régions administratives) renvoyant à des espaces définis a priori comme pertinents pour saisir les phénomènes sociaux, dont les déplacements, supposés homogènes et délimités par des frontières.
L’espace réticulaire
Il s’agit de l’espace conçu comme un agencement fonctionnel de lignes et de points, discontinu et ouvert, qui a des limites identifiables, mais de nature topologique. Dans cette conception, chacun dispose d’une accessibilité au réseau que constitue l’espace. L’accès est un enjeu central et le support matériel de transmission est au cœur de l’analyse (Rifkin, 2000). Sur le plan conceptuel, la notion de réseau a fait l’objet de nombreux développements, dans le domaine de l’analyse des relations sociales (les réseaux sociaux, le capital social), des réseaux techniques et territoriaux (les agglomérations, la dépendance automobile) et de leurs effets (la fragmentation). La littérature sur les Global Cities fait beaucoup appel à la notion de réseau lorsqu’elle cherche à mettre en relief les liens de dépendance entre des métropoles à partir des lignes aériennes ou des flux téléphoniques (Taylor, 2004).
L’espace comme rhizome
Il s’agit de l’espace conçu comme l’avènement d’un monde dans lequel la distance ne compte plus. Dans cette dernière optique, le peuplement du temps supplante le peuplement de l’espace. L’espace est alors lisse, indéfini et ouvert, il est un potentiel d’opportunités en perpétuelle réorganisation, un rhizome. Le monde n’est plus alors qu’une vaste interface. “ L’instantanéité de l’ubiquité aboutit à l’atopie d’une unique interface” (Virilio, 1984, p.19). La conception de l’espace comme rhizome s’inspire des travaux de Gilles Deleuze et Felix Guattari sur la déterritorialisation (1980) et sa conceptualisation a fait suite au développement des technologies de communication à distance qui permettent l’immédiateté. Personne ne nie que des pans entiers de la finance travaillent désormais dans l’immédiateté, que des communautés « virtuelles » se sont développées sur la toile ; pour autant, cette conception souffre d’une sorte d’enthousiasme technologique qui considère que l’innovation technique change radicalement le monde, ici en l’occurrence les espaces digitaux de communication à distance.
Précisions
Ces trois formes spatiales correspondent largement aux trois « espèces d’espaces » génériques proposés par Jacques Lévy, soit l'aire, le lieu et le réseau (Lévy, 1994). Si l'aire et le réseau renvoient respectivement à ce que nous avons défini comme espaces aréolaire et réticulaire, le cas du lieu est plus délicat.
Le lieu est défini par Jacques Lévy comme "un espace au sein duquel le concept de distance n'est pas pertinent" (Lévy 1994, p. 52), et lorsqu'intervient l'influence de la distance, on passe du lieu à l'aire.
Mais peut-on définir des lieux au sein desquels la distance n'a pas d'influence ? Dans un café, ne choisit-on pas sa table en fonction des distances qui nous séparent d'autrui ? L'aisance implique des distances interpersonnelles au sein des lieux, et lorsque celles-ci ne sont pas respectées, comme dans un bus bondé, le bien être s'en ressent. De même, dans une pièce, lorsque deux personnes parlent à voix basse pour ne pas être entendues d'une tierce personne, il y a influence de la distance. Au sein des lieux géographiques, on le voit, la distance exerce souvent son influence. Ceci nous ramène à la forme du rhizome. Tel que défini par Deleuze et Guattari (1980), il s'agit bien d'un espace au sein duquel la distance n'a pas prise - donc d'un lieu au sens de Jacques Lévy - mais, fondamentalement, il relève des espaces digitaux de communication et de l'immédiateté de franchissement qu'ils procurent. Le lieu pur est en ce sens d'abord un espace virtuel.
Bibliographie
Deleuze G. & Guattari F. (1980), Milles plateaux : schizophrénie capitaliste , éditions de Minuit, Paris
Kaufmann V. (2011), Re-thinking the City , Routledge and EPFL-Press, London and Lausanne
Lévy J. (1994), L'espace légitime , Presses de la fondation nationale des sciences politiques, Paris
Rifkin J. (2000), The Age of Access , Tarcher and Putnam
Taylor P. (2004), World City Network, A global urban analysis , Routledge, London
Virilio P. (1984), L’espace critique , Christian Bourgeois, Paris
- Déplacement
Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
Mots-clés : Réseaux, Grande mobilité, Mobilités virtuelles, Migration
Disciplines : Sciences sociales
Mode(s) de transport : Tous modes de transport
Vincent Kaufmann
Sociologue
Sociologue suisse, Vincent Kaufmann est l’un des pionniers de la recherche sur la mobilité et l’inventeur du concept de motilité. Il est directeur du laboratoire de Sociologie Urbaine de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (LaSUR-EPFL) et professeur de sociologie et d’analyse des mobilités.
Pour citer cette publication :
Vincent Kaufmann (2012, 10 Décembre), « Déplacement », Forum Vies Mobiles. Consulté le 3 Mars 2021, URL: https://fr.forumviesmobiles.org/reperes/deplacement-452
Les Repères du Forum Vies Mobiles sont mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 3.0 France.
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Commentaires
Alain L'Hostis
publié le 18 Septembre 2015
Pour ma part j'ai compris la définition du lieu par Lévy, où la distance n'a pas cours, comme simplement un espace de co-présence. En reprenant l'exemple du café, et de la possibilité d'une messe-basse entre deux personnes assises à la même table, le lieu nous dit que la coprésence est possible. Mais comme celle-ci se déploie selon les cinq sens, une mise à l'écart, visuelle, auditive, tactile est toujours possible. Pour autant sort on du lieu? Je ne le pense pas.
Je m'en référerai ici aux cinq distances de Hall (La dimension cachée 1971) qui de l'intime des corps en contact, à la distance publique nous indique toute une étendue de possibilités de co présence.
Si l'on revient à Lévy et son lieu sans distance, je dirai que la distance peut s'effacer dans le lieu, mais la distance ne peut jamais totalement disparaitre entre deux individus: l'expérience reste unique, et même la fusion amoureuse ne peut nous faire accéder à une expérience identique.
A mon sens le lieu ne doit pas disparaitre comme catégorie, et en tout cas pas au profit du rhizome de Deleuze et Guattari, pour la raison que le lieu permet ce que la télécommunication ne permet pas, et c'est l'imprévu. Boden et Molotch (The compulsion of proximity, 1994) nous disent que toute télécommunication suppose une intention, alors que le face-à-face dans un lieu peut survenir de manière inattendue.
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Christophe Mincke
publié le 18 Septembre 2015
Si je puis me permettre un commentaire, j'aimerais faire remarquer que la définition ci-dessus porte davantage sur les typologies d'espaces que sur le déplacement en tant que tel. Bien entendu, on entretient des rapports différents avec différents types d'espaces, mais il conviendrait peut-être de préciser en quoi consistent les différences.
De la même manière, la distinction entre mobilité et déplacement n'est pas précisée, ce serait pourtant utile. Le terme mobilité n'est d'ailleurs pas utilisé dans la définition. Tout déplacement est-il constitutif d'une mobilité?
A titre d'exemple, dans le cadre de mes travaux menés avec Bertrand Montulet, je distingue deux types de mobilité (ou de déplacement, n'ayant pas ressenti le besoin d'opérer une distinction claire). S'agissant d'un déplacement dans l'espace au cours du temps, dans le cas d'un espace aréolaire, la mobilité s'entend du franchissement de la frontière. Etant donné l'uniformité interne de l'espace aréolaire, aucun déplacement ne peut y avoir lieu… sauf à considérer des subdivisions internes. Ainsi, à l'échelle internationale, la mobilité s'entend du franchissement des frontières nationales, à l'échelle nationnale, de la transgression des limites de cantons, de départements ou de provinces, etc. Bien entendu, ces éléments se combinent, mais la notion de déplacement relève du franchissement de frontière. Cette mobilité sera essentiellement pensée au travers de la fixation de points de départ et d'arrivée. Elle est donc volontaire et a un sens.
Dans un espace réticulaire, il ne saurait être question de mobilité-franchissement. Le déplacement doit alors être conçu comme une renégociation des relations à un ensemble de noeuds du réseau. L'ensemble du réseau étant mouvant (la relation au noeud est à double sens, entre moi et le noeud et entre le noeud et moi (en tant que noeud moi-même), chacun pouvant agir en telle sorte que cette relation se modifie), la mobilité relative est permanente. C'est ce que nous nommons "mobilité-dérive", fondée sur l'irrépressible dérive au sein d'un espace nécessairement plastique et ordonné par des jeux de relations entre noeuds. Certes, il y est possible de fixer des objectifs à ses déplacements, mais sans pouvoir assurer qu'au cours du déplacement, le "lieu" d'arrivée n'aura pas changé de "localisation" (c'est-à-dire, aura conservé l'ensemble de ses caractéristiques spatio-relationnelles). Bref, une indétermination fondamentale marque toujours le déplacement. Elle sera d'autant plus grande que la durée sera importante.
Ceci n'est qu'un essai de formalisation, mais il me semble important de distinguer les types de déplacements des types d'espace, même si des rétroactions existent entre les deux.
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